Les caractéristiques et les limites de la notion d’accident de trajet résultent essentiellement d’une construction prétorienne souple et évolutive.
Aujourd’hui, « est réputé constituer un accident de trajet, tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l'accident du service » (CE, 17 janvier 2014, « M. Lançon », n°352710).
L’accident de trajet bénéficie d’une présomption d’imputabilité, qui peut toutefois être renversée si l’administration apporte la preuve qu’un fait personnel ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service.
Les principales difficultés d’appréciation des contours de l’accident de trajet tiennent à la fixation des limites spatiales et du déroulement du parcours protégé.
Les notions de limites spatiales et de parcours protégé
Les limites spatiales
Le lieu de travail est défini comme le lieu où le fonctionnaire exerce son activité professionnelle sous le contrôle et l’autorité de son employeur.
Le domicile peut être le domicile principal mais aussi une résidence secondaire si elle présente un caractère de stabilité, c’est-à-dire si elle est fréquentée de façon régulière, habituelle.
Ainsi, l’accident ne sera pas reconnu imputable au service dès lors que le trajet ne part pas du domicile de l’agent.
Remarque : Le trajet protégé commence ou se termine dès le franchissement du seuil de la « propriété privée » (espace dont l’entretien incombe à la victime et non à une personne publique). Le Conseil d’Etat a estimé non imputable au service l’accident survenu alors que l’agent descendait de voiture dans le jardin de sa propriété (CE, 23 novembre 1984, n° 51213).
S’agissant des accidents survenus dans les parties communes des immeubles d’habitation, la Cour de cassation en a admis le caractère d’accident de trajet (Cassation sociale : 8 mai 1952, Bull. IV, n°386 ; 9 avril 1975, Bull. V, n°176). Cependant le juge administratif est plus indécis : le TA de Dijon par jugement n°021063 du 12 février 2004 a reconnu l’imputabilité d’un accident survenu dans l’escalier, espace collectif, d’un immeuble, alors que dans les mêmes circonstances le TA de Paris (n°9812259/5 du 18 octobre 2001) a jugé du contraire.
De façon générale il s’agit de tout lieu où l’agent prend habituellement ses repas (restaurant, cantine...), au moins une fois par semaine.
Le parcours protégé :
C’est un parcours qui, à l’aller comme au retour, conduit l’agent de son lieu de résidence ou de repas habituels au lieu d’accomplissement de son travail, pendant la durée et aux horaires normaux pour l’effectuer. Il doit s’agir d’un parcours habituel. Ce parcours est dit « protégé ».
Deux critères permettent de s’assurer que l’on reste dans le cadre du parcours protégé.
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L’itinéraire emprunté doit en principe être non détourné et non interrompu
Sur le principe, le trajet emprunté doit être le plus direct entre le lieu de résidence ou de repas et le lieu d’accomplissement du service.
Il convient de préciser que « direct » ne signifie pas unique. En ce sens, le Conseil d’Etat admet que l’intéressé se trouve « au moment de l’accident sur l’un des itinéraires normaux entre son domicile et son lieu de travail » (CE, 17 juin 1977, « Cossic », n°04100).
Sur son trajet habituel, l’agent bénéficie d’une présomption d’imputabilité de l’accident au service. En revanche, dès lors que le trajet n’est plus habituel (qu’il a été détourné ou interrompu), l’agent perd le bénéfice de la présomption d’imputabilité mais il ne sort pas du champ du régime. L’agent devra apporter les justifications et le juge devra se déterminer au vu des circonstances de l’espèce.
Ainsi, pour bénéficier de la qualification d’accident de trajet, le parcours ne doit pas avoir été interrompu ni détourné pour des motifs d’intérêt personnel ou étrangers aux nécessités de la vie courante ou à l’exercice des fonctions. Ainsi, le fait que l’agent effectue un détour ou une interruption sur son parcours, à l’aller ou au retour, ne remet pas en cause l’imputabilité au service si le détour ou l’interruption sont motivés par les nécessités de la vie courante ou par l’exercice des fonctions : accompagner ses enfants chez la nourrice (CE, 27 octobre 1995, « Ministre du Budget c/ Mme C… », n°154629) ; acheter du pain (CE, 2 février 1996, « Ministre du Budget c/ D… », n°145516). Un accident survenu sur un trajet inhabituel et opposé s’est récemment vu reconnaitre la qualification d’accident de trajet, du fait qu’avant de se rendre à son travail, l’agent emmenait ses enfants à l’école (TA de Lille, n°1504223, du 6 février 2018).
Il convient de préciser toutefois que, pour être imputable, l’accident doit se produire sur le trajet et non à l’occasion de son interruption sur un lieu autre que la voie publique. Ainsi, une chute à l’entrée d’un débit de boisson n’emportera pas la qualification d’accident de trajet alors que l’agent s’y arrêtait pour un motif lié aux nécessités de la vie courante (CE, 27 mai 1987, « Ministre de l’éducation nationale c/ Mlle Forestier », n°74883). En revanche, une chute survenue sur un trottoir mouillé alors que l’agent se rendait à la boulangerie doit être regardé comme un accident de trajet (CE, 30 décembre1998, « Caisse des dépôts et consignations c/ Durbano », n°149894).
Cependant, toute commodité ne correspond pas à une nécessité de la vie courante. Ainsi, se rendre dans un magasin de bricolage pour acheter des matériaux de construction alors que cet achat ne répond pas à une commande de son employeur n’est pas une nécessité de la vie courante. L’accident qui résulte de ce détour ne sera pas qualifié d’accident de service (CE, 28 juillet 2000, « Laval », n°193293).
Enfin, le détour peut parfois ne pas être justifié par une nécessité de la vie courante et l’accident tout de même reconnu comme imputable au service : à titre d’exemple, l’agent peut effectuer un détour pour éviter un encombrement de la circulation ou le détour peut être involontaire et résulter de l’assoupissement de l’agent dans le train le conduisant à son domicile ; Dans ces deux cas, le juge a admis l’imputabilité au service des accidents de trajet qui y sont survenus (TA Cayenne, 5 janvier 2012, « M. Coppet », n°1100047 ; CE, 29 janvier 2010, « Mme Oculi », n°314148).
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Le temps de trajet doit être normal
La notion de « temps de trajet normal » recouvre deux réalités bien distinctes : d’une part, une notion de durée normale du trajet, d’autre part, un critère tenant au respect des horaires de travail.
Une durée de trajet qui n’est pas anormalement longue :
Le délai pour effectuer le trajet est un indice de la volonté de l’agent de rejoindre directement son travail ou son domicile. Il est nécessaire que l’agent ait la volonté de rejoindre son domicile ou son travail dans un « délai habituel ».
La présomption d’imputabilité ne joue pas lorsque la durée du trajet est anormalement longue. Cela ne signifie pas que l’imputabilité ne sera pas reconnue mais dans ce cas, le juge examinera les faits pour déterminer s’il y a encore un lien entre l’accident et le service.
Ainsi, la qualification d’accident de trajet est exclue lorsque l’accident survient quatre heures après que le fonctionnaire ait quitté son lieu de travail (CE, 15 mai 1985, « E… », n°54396). L’itinéraire protégé ne l’est que pendant un certain créneau.
Le respect des horaires de travail :
Il y a présomption d’imputabilité sauf en cas d’écart sensible d’horaire. Dans cette hypothèse, il faudra rechercher si des circonstances particulières permettent de maintenir le lien avec le service : « La circonstance que l’agent soit parti en avance par rapport à ses horaires de travail ne rompt pas, par elle-même, le lien avec le service ; que toutefois, en cas d’écart sensible avec ses horaires, et sauf dans le cas où ce départ a été autorisé, il appartient à l’administration, puis le cas échéant au juge, de rechercher, au vu des raisons et circonstances du départ, si l’accident présente un lien direct avec le service » (CE, 17 janvier 2014, « M. Lançon » précité).
Il y a trois hypothèses possibles : l’avance pour se rendre au travail, le retard pour se rendre au travail, et enfin l’avance pour quitter le travail :
- L’avance pour se rendre au travail :
Une avance sensible sur l’heure à laquelle l’agent doit rejoindre son travail ne fait pas obstacle à la qualification d’accident de trajet (CE, 17 juin 1977, « Cossic », n°04100).
- Le retard pour se rendre au travail :
La question d’un retard fautif ne fait pas obstacle à l’imputabilité de l’accident au service : pour exclure l’accident de service, il faudrait que cette faute soit telle qu’elle traduise une volonté de se placer hors de l’exercice normal des fonctions.
Le juge n’écartera pas l’imputabilité au motif que l’agent avait un léger retard si par ailleurs d’autre circonstances de l’espèce n’excluent pas une telle qualification (CE, 4 janvier 1985, « Choucroun », n°57465).
En revanche, tout retard non justifié sera considéré comme un fait personnel de l’agent exclusif du régime de l’accident de service (ex : TA Paris, 13 octobre 2015, « Mme Ekongo », n°1503706). Si le retard est justifié (par exemple, un retard de train), le juge pourra admettre l’imputabilité au service de l’accident (TA Lille, 20 octobre 2015, « M. Kechkeche », n°1302456).
- L’avance pour quitter le travail :
Un départ avant l’heure de fin de service n’empêche pas la reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident : « ce départ, qui n’avait pas été autorisé par son supérieur hiérarchique […] constituait un écart sensible avec ses horaires ; que si M. Lançon ne pouvait par suite bénéficier de la présomption d’imputabilité de cet accident au service, il est toutefois constant qu’il est parti après avoir transmis les consignes à l’agent assurant sa relève ; qu’un tel écart ne traduisait en outre aucune intention de sa part de ne pas rejoindre son domicile dans un délai normal et par son itinéraire habituel ; que, dans ces conditions, les circonstances du départ anticipé de M. Lançon ne constituent pas un fait de nature à détacher cet accident du service ; qu’au vu de ces éléments […] l’accident dont il a été victime revêt le caractère d’un accident de trajet » (CE, 17 janvier 2014, « M. Lançon » précité).
Par ailleurs en ce qui concerne les horaires variables, il n’existe pas de jurisprudence sur ce thème. On soulignera qu’en raison de la flexibilité et de l’imprévisibilité inhérentes à ce régime de travail, la notion d’avance ou de retard par rapport à l’horaire habituel n’existe plus et que les principaux critères d’appréciation de l’imputabilité sont l’itinéraire emprunté et, dans la mesure du possible, la durée du trajet.
La présomption d’imputabilité de l’accident de trajet au service
L’examen du lien avec le service
Le lien avec le service est un critère déterminant retenu par la jurisprudence pour admettre ou écarter l’imputabilité au service d’un accident de trajet.
Néanmoins, l’obligation de trajet constitue en elle-même un fait précis de service. C’est pourquoi, lorsque l’accident survient aux horaires normaux et sur le parcours protégé non détourné, non interrompu, le lien avec le service n’a pas à être démontré.
A contrario, lorsque l’un des critères de l’itinéraire ou de l’horaire n’est pas rempli ce critère devra impérativement être vérifié.
Pour apprécier l’existence du lien direct du trajet avec le service, il faut distinguer l’intérêt personnel de l’agent ou la faute personnelle commise par l’agent et pouvant être à l’origine de l’accident survenu sur le parcours protégé.
L’examen du lien avec le service en cas de faute de l’agent dans l’accident de trajet
Le Conseil d’Etat adopte une position protectrice à l’égard du fonctionnaire. En effet, une infraction au code de la route n’entraîne pas systématiquement une rupture du lien entre l’accident et le service (CE, 27 novembre 1969, « Thrivaudey », n°42122).
Pour ce faire, il faudrait une faute intentionnelle ou d’une gravité telle que l’acte de l’agent ne pourrait plus être regardé comme accompli encore dans le cadre du prolongement du service.
Exemples de fautes reconnues par le juge comme entraînant une rupture du lien avec le service :
- Cas d’un agent sur le trajet de retour vers son domicile ayant poursuivi un automobiliste dont la voiture avait heurté la sienne, provoquant une altercation à l’issue de laquelle il a été blessé (CE, 6 février 2013, n°355325),
- Cas d’un dépassement dangereux, à vive allure, sans visibilité et avec interdiction de doubler (CE, 7 mai 2010, n° 328057).
- Etat d’ébriété au volant (CAA de Nantes , 27 mai 1999, n°96NT01581; en ce sens également, Tribunal administratif de Nantes, 27 janvier 1988 : le juge a considéré que l’état d’imprégnation alcoolique incompatible avec la conduite d’un véhicule constituait une faute lourde, commise par la victime d’un accident mortel survenu sur le trajet protégé et faisait perdre à l’accident tout lien précis et déterminé avec le service pouvant conduire à l’attribution de la rente viagère d’invalidité).